Interview d’Antoine Armand, député

Écrit par Juliette Mariani, Journaliste énergie et rénovation le 6 mai 2024 à 09:36 | Modifié le 13 mai 2024 à 10:35
Temps de lecture : 5 min

Antoine Armand est député Renaissance de Haute-Savoie. Il était rapporteur de la commission d’enquête visant à “établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France”, dont le rapport a été rendu public il y a un an à l’Assemblée nationale

Antoine Armand vient de publier, en février 2024, un essai, Le Mur énergétique français, issu des travaux de cette commission d’enquête. 

Antoine Armand, député de Haute-Savoie

1. Dans votre essai, vous soulignez que la France, qui était à l’avant-garde du nucléaire à la fin des années 1990, accuse un retard considérable au moment d’assurer la transition écologique au début des années 2020. Qu’est-ce qui explique le déclin de notre filière nucléaire ? 

Les conclusions que je présente dans cet essai sont le fruit des auditions et du travail mené dans le cadre de la commission d’enquête, ainsi que des leçons qui nous sont apparues. Deux points essentiels ont progressivement été négligés. 

Tout d’abord, nous avons oublié que l’abondance électrique et énergétique n’était pas acquise. Nous vivions dans l’illusion de l’abondance. Pourtant, notre parc nucléaire ne pouvait pas se suffire à lui-même pour un siècle. Nous aurions dû développer d’autres moyens de production, et réduire notre consommation

En outre, nous avons oublié que l’énergie est une industrie, et que l’industrie nucléaire requiert tous les éléments clés d’une grande industrie : 

  1. la formation : il faut disposer de ressources de main-d’œuvre pour entretenir notre industrie nucléaire. La fragilisation de la filière s'est manifestée par une pénurie de main-d'œuvre ;
  2. disposer des savoir-faire technologiques et de la capacité de mener à bien de grands chantiers. C’est ce qui a fait défaut lors de la construction de l’EPR de Flamanville, et c’est ce qui explique qu’aujourd’hui, à la veille d’une grande relance nucléaire, nous devons tout remettre en marche

2. Dans votre essai, vous insistez sur la nécessité de développer les filières industrielles des énergies renouvelables en France et en Europe. Quelles sont les filières prioritaires ? Quelles mesures mettre en place ? 

L’une des conclusions de mon travail est que nous ne pouvons plus opposer les différentes filières entre elles. Il n’est notamment plus possible d’opposer énergies renouvelables et énergie nucléaire

Pourquoi ? Parce que le mur à franchir est très haut. Dans les dix années à venir, nous devons à la fois réduire notre consommation comme jamais auparavant, et augmenter considérablement notre production d’énergie, notamment d’électricité décarbonée

Cela nécessite d’agir sur tous les fronts : développer davantage la géothermie, le solaire photovoltaïque et thermique, l’éolien terrestre et en mer, tout en relançant, bien sûr, la filière nucléaire. Il faut accélérer le développement de toutes ces filières, aller plus loin et plus vite. En effet, les investissements demandent du temps

Je formule également, dans mon essai, des recommandations pour protéger nos filières industrielles. Il faut protéger le solaire en Europe, qui est fragilisé par la sur-concurrence chinoise, continuer à investir dans la recherche et le développement de projets sur lesquels nous pouvons être à l’avant-garde, comme l’éolien flottant et la pyrogazéification

Il faut également soutenir la relance du nucléaire, même si cela prendra du temps et coûtera cher. Le nucléaire sera l’un des piliers de notre décarbonation

3. Bruno Le Maire a annoncé récemment un plan d’action pour relancer la filière française des panneaux solaires. Comment l’État peut-il soutenir cette relance ?

Tout d’abord, si l’objectif est bien de renforcer notre souveraineté énergétique, cela ne signifie pas viser l’autosuffisance et l’indépendance totale. Il s'agit de réduire nos vulnérabilités et d’accroître notre résilience face à d’éventuelles crises. 

Pour y parvenir, il faut disposer de capacités de production sur le sol européen et français, avec notamment des projets de giga-usines pour le solaire, qui sont soutenus par l’État. La situation actuelle du solaire exige d’aller encore plus loin et de mieux financer ces projets. 

Enfin, il est crucial de préserver et de sauvegarder les industries encore présentes en Europe et qui risquent d’être fragilisées. À l’échelle européenne, le projet de règlement européen Net-Zero Industry Act doit renforcer l’industrie européenne en imposant un seuil minimum de production européenne dans les filières clés de la transition écologique. 

4. La consommation énergétique des bâtiments est le premier poste d’émissions de gaz à effet de serre en France, à égalité avec le secteur des transports. Vous écrivez qu’on ne mesure pas encore correctement les dépenses d’énergie des bâtiments et les économies réalisées grâce aux travaux de rénovation ?

La rénovation énergétique répond à plusieurs besoins essentiels : réduire la facture d’énergie, et donc lutter contre la précarité énergétique, décarboner, et réduire notre consommation d’énergie. Cela fait beaucoup à mesurer pour un seul outil

Nous sommes en train de mettre en place des instruments de mesure, via des décrets de collecte des données individuelles, et via le Décret Tertiaire, qui impose aux propriétaires de bâtiments de plus de 1 000 m2 du tertiaire de déclarer leurs niveaux de consommation. L’objectif est de pouvoir évaluer les changements avant et après les travaux

C’est indispensable : sans ces outils, nous serions contraints de tâtonner à l’aveugle. Réaliser de nombreux gestes de rénovation est inefficace s’ils sont faits dans le désordre et qu’on n’en mesure pas l’impact

D’un point de vue énergétique, notre but n’est pas d’atteindre un quota de rénovations par an. Nous rénovons pour faire baisser notre consommation énergétique globale et pour décarboner

C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la réforme du DPE (diagnostic de performance énergétique) : ne pas pénaliser l’électricité décarbonée par rapport à la chaleur carbonée. 

Dans l’élaboration de ces outils, nous sommes soumis à deux contraintes : 

  1. la transition écologique : il faut décarboner autant que possible, avec de l’électricité tant nucléaire que renouvelable
  2. la sécurité d’approvisionnement : il faut pouvoir garantir aux Français qui abandonnent le chauffage au gaz que leurs nouvelles installations leur permettront de se chauffer toute l’année, quelles que soient les conditions.

5. Vous avez auditionné 88 personnes au cours de la Commission d'enquête : scientifiques, dirigeants, hauts fonctionnaires, anciens ministres et deux anciens présidents. En avril 2023, vous avez présenté un rapport de 400 pages, contenant 30 propositions. Depuis la présentation de ce rapport, quelles mesures ont été prises ? 

Tout d’abord, je me réjouis de constater que le rapport et son rendu aient suscité de nombreux débats et alimenté le débat public

Certaines propositions ont été assez rapidement suivies d’effet. Par exemple, un accord a été trouvé pour que la réforme du marché européen de l’électricité, qui vise à limiter la flambée des prix de l’électricité, ne désavantage pas le nucléaire par rapport aux énergies renouvelables. 

Le président de la République a également annoncé la mise en place d’un inventaire minier afin d’évaluer les ressources présentes sur notre sol, telles que le lithium, nécessaires à la fabrication de batteries électriques

Enfin, je suis satisfait du rattachement de l’énergie à l’industrie, avec la formation, en février 2024, du ministère en charge de l’Industrie et de l’Énergie, sous la direction de Roland Lescure

Beaucoup reste à faire, mais c’est un bon début. Il faudrait également que nos propositions stratégiques puissent trouver leur place dans une programmation énergétique nationale pour les trente prochaines années. L’une des erreurs ayant contribué à la perte de notre souveraineté énergétique était précisément le manque d’une vision à long terme

6. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de programmation ? Le 11 avril, le gouvernement a annoncé qu’il passerait par un décret plutôt qu’une loi ?

En effet, le gouvernement a l’intention de présenter une stratégie énergétique dans les prochains mois. À titre personnel, je pense que l’idéal serait qu’elle passe par une loi, plus susceptible d’établir un consensus national et durable plus fort. Cependant, quand on voit l’état de l'hémicycle, où certains députés restent cantonnés dans leurs positions, il faut naviguer pour éviter les pièges. Il ne faudrait pas faire échouer un projet essentiel pour le pays. 

7. Les écologistes avaient relancé le débat sur cette programmation en présentant un projet de loi fin mars. Est-ce que leur position sur le nucléaire évolue ? 

Les écologistes demeurent globalement antinucléaires, et je pense que c’est une erreur majeure de ce parti. Cependant, dans leur dernière proposition de loi, ils ont pour la première fois de leur histoire porté un amendement permettant de maintenir, et potentiellement de prolonger, le nucléaire existant. C’est une avancée majeure. Il faut le saluer et appeler à aller encore plus loin. 

De la même manière, espérons que les députés de la droite de l'hémicycle ne bondissent plus de leur chaise lorsque les énergies renouvelables ou la sobriété sont abordées !

Juliette Mariani
Juliette Mariani

Journaliste énergie et rénovation

Juliette a rejoint Hello Watt en 2024 après des études de lettres et de marketing. Sa mission : vous tenir informés des dernières actualités du secteur de l’énergie dans les articles du blog Hello Watt.

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