Interview de César Dugast, responsable du pôle “Neutralité carbone” chez Carbone 4
César Dugast est manager pour le cabinet Carbone 4 et coresponsable du pôle “neutralité carbone”. Découvrez dans cette interview son point de vue sur les enjeux du secteur du logement pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.
Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler la définition de la neutralité carbone ?
La neutralité carbone au sens scientifique du terme, c'est l’équilibre entre les émissions des gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine et les puits de carbone d’origine humaine. Concrètement, c'est un objectif qui nous demande de réduire considérablement nos émissions de gaz à effet de serre de manière à pouvoir équilibrer avec les puits de carbone en 2050.
Et si la planète était une baignoire ?
C’est comme dans une baignoire, où notre objectif est d’équilibrer ce qui sort du robinet et ce qui s’en va du siphon pour éviter que la baignoire ne déborde. Il faut alors stabiliser la quantité d’eau présente dans la baignoire, qui représente le volume de CO2 total accumulé dans l'atmosphère, et le but est de faire en sorte que la baignoire ne déborde pas.
Dans notre cas, cela sous-entend de rester en dessous de 1,5 °C ou 2 °C de réchauffement planétaire.
C’est pourquoi le net zéro planétaire est une condition nécessaire à un objectif plus important qui est le fait de rester sous les 1,5 °C.
Si on atteint la neutralité carbone trop tard, cela perd toute son importance, car on sera noyé sous les catastrophes.
Généralement, les différents acteurs s’approprient la définition de neutralité carbone de 3 manières différentes :
- certains acteurs utilisent le terme en faisant l’allégation d’actions pour la neutralité carbone basées sur la compensation, ce qui est contraire à ce que préconise le GIEC ;
- la deuxième école se veut plus sérieuse et dit que les termes pour la neutralité carbone doivent être mieux cadrés et conditionnés à une forte baisse des émissions de GES au préalable. C’est l’école qui demande que la neutralité carbone des organisations soit déclenchée seulement après avoir réduit de 90 % les émissions directes et indirectes des entreprises ;
- la troisième école, dont je fais partie, affirme qu’il faut réserver le terme de neutralité carbone à l’échelle planétaire. C’est-à-dire qu’on cesse de se regarder le nombril et se demande plutôt “Est-ce que mon entreprise est compatible avec un monde neutre en carbone qui aura réduit ses émissions de 80 % dans 30 ans ?”. Cela se traduit par des actions à tous les niveaux avec la réduction de ses propres émissions directes et indirectes, la réduction des émissions de ses clients et le développement de puits carbone.
Selon vous, est-ce qu’un dispositif comme les certificats d’Économies d’Énergies est viable pour atteindre la neutralité carbone ?
Rappel
Le Certificat d’Économies d’Énergie (CEE) est un dispositif réglementaire qui oblige certains énergéticiens fortement consommateurs d’énergie à financer des actions d’efficacité énergétique chez des particuliers en échange de certificats qui leur permettent de se mettre en conformité vis-à-vis de la loi. C’est ce qui est ensuite versé sous forme de primes CEE aux particuliers.
Ce dispositif est différent du système de compensation carbone. Évidemment, les CEE ne sont pas légitimes pour permettre aux acteurs de se revendiquer neutre en carbone.
Le dispositif des CEE accélère tout de même la transition vers une décarbonation et une baisse des consommations énergétiques de l’écosystème qui nous entoure.
Toutefois, ce n’est que l’un des outils réglementaires à disposition pour accélérer la transition, ce n’est pas un outil qui permet de compenser.
Quels sont les leviers les plus efficaces pour réduire l’empreinte carbone du secteur du bâtiment ?
Pour décarboner le bâtiment, il faut regarder en détail de quoi sont faites les émissions de GES du secteur et ce sont principalement les vecteurs de chauffage. Il faut donc se fier à
- l’intensité carbone du mode de chauffage, qui revient à savoir combien de CO2 sont émis par kilowattheure consommé ;
- l’efficacité énergétique du bâtiment, qui correspond à la quantité d’énergie appelée pour chauffer correctement un mètre carré de bâtiment ;
- le nombre total de mètres carrés à chauffer et la température de chauffage.
Ce qui permet de distinguer trois leviers pour décarboner le secteur du bâtiment :
- décarboner le mix énergétique de chauffage en utilisant des vecteurs bas carbone (électricité bas carbone, biométhane) ;
- rénover les logements de manière performante ;
- diminuer la taille du parc immobilier à chauffer et réduire la température de chauffage (sobriété).
Pensez-vous que les actions mises en place par l’État sont suffisantes et assez ambitieuses pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 dans le secteur du logement ?
Les mesures actuelles sont doublement insuffisantes pour atteindre la neutralité carbone du secteur :
- tout d’abord, la transformation du parc vers des bâtiments efficaces est à la traîne. On doit rénover 500 000 logements par an et on n’en rénove qu’environ 66 000 chaque année en France. La filière n’est pas assez bien structurée et on manque de financement. I4CE déclare qu’il faudrait quatre fois plus de financements publics et privés pour parvenir aux objectifs de rénovation énergétique ;
- ensuite, on ne décarbone pas assez les systèmes de chauffage. La loi Énergie Climat prévoit d’interdire les chaudières au fioul, mais on ne traite pas les chaudières au gaz. Or, il faudrait passer de 12 millions de chaudières à gaz à 9 millions sur les 7 prochaines années pour atteindre les objectifs. Les mesures publiques actuelles permettront probablement de réduire d’un million seulement le nombre de chaudières au gaz d'ici à 2030, soit trois fois moins que l'objectif visé.
Le plan de sobriété énergétique de l’État est-il prometteur ?
Partage-t-on la même définition de la sobriété énergétique ? Le gouvernement, au vu des communications de cet hiver, considère que la sobriété revient à se serrer la ceinture pour passer l’hiver.
Alors que d’après le GIEC, la sobriété n’est pas un état ponctuel de réduction de la consommation en vue de passer un moment difficile comme l’hiver. C’est plutôt un horizon désirable où il faudrait :
La sobriété doit être un ensemble de mesures politiques publiques qui permet de réduire structurellement la demande générale en énergie. Or aujourd’hui le plan n’a pas l’air de viser à réduire la consommation énergétique des individus et à la fois à diminuer la production et appeler une moindre consommation.
Il faut faire attention à ne pas confondre sobriété et rationnement.
Pouvez-vous nous expliquer les inégalités d’émissions et d’action face au réchauffement climatique, notamment dans le secteur du logement ?
En effet, le plan de sobriété énergétique de l’État est déjà le quotidien d’une bonne partie des Français.e.s qui souffrent de précarité énergétique depuis des années.
À savoir
Selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), un foyer en situation de précarité énergétique, est un foyer qui consacre plus de 8 % de ses revenus aux factures énergétiques domestiques.
Quand on regarde les émissions de GES par décile de revenu, on est frappé par l’énorme disparité entre riches et pauvres. Une étude de l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) a montré que, dans le monde, les 1 % les plus riches émettent 1 000 fois plus de GES que les 1 % les plus pauvres (en Europe, cet écart est réduit, mais reste impressionnant).
Nous ne sommes pas égaux en termes d’émissions ni en termes d’action. Pour réduire l’empreinte carbone, il faut bien-sûr faire tous les éco-gestes au quotidien mais surtout investir dans son logement pour l’isolation et remplacer sa chaudière. Ces investissements ne peuvent pas être assumés par les plus modestes alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin.
Quelle est la place de l’action individuelle dans la réduction de l’empreinte carbone d’un logement ?
Faire sa part ?
L’étude “Faire sa part ?” de Carbone 4 montre que les actions individuelles “gratuites” peuvent participer en moyenne à 25 % de l’effort de réduction des émissions de GES. Si on ajoute les investissements, on peut atteindre en moyenne 45 % de réduction des émissions.
Nous n'avons qu’une capacité limitée pour la décarbonation de notre empreinte carbone individuelle.
À l’échelle du logement, le geste gratuit le plus efficace est de diminuer la température de chauffage en ne dépassant pas les 19°C. Ce qui représente un geste bien moins puissant que l’adoption d’un régime végétarien par exemple. À côté, si on est capable d’investir, en changeant son mode de chauffage et en isolant, c’est très efficace, c’est ce qui nous incombe de faire au niveau du logement.
Malgré tout, certains changements ne sont pas à portée de main de l’individu, comme la décarbonation du mix électrique ou la part du biométhane dans le réseau de gaz.
Les symptômes du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles. Vous ressentez une prise de conscience ou au contraire, vous avez le sentiment que nous ne parvenons pas à saisir l’opportunité d’agir plus ?
Les consciences qu’il faut éveiller aujourd'hui, c’est ce sont celles de l’appareil politique. Il manque ce fameux plan de transformation de l’économie française et ces investissements massifs en faveur d’une infrastructure décarbonée.
Les pouvoirs publics ne nous ont pas donné les indices d’un réel changement de paradigme. Un plan de sobriété essentiellement incitatif ne suffira pas.
Pouvez-vous nous expliquer le Net Zero Initiative que vous développez avec Carbone 4 ?
Le Net Zero Initiative est une nouvelle manière d’aborder les actions climat des entreprises.
Nous partons du principe qu’une entreprise doit agir à juste niveau sur différents indicateurs pour à la fois se préparer à un monde neutre en carbone et pour faire advenir ce monde neutre en carbone.
C'est-à-dire qu’une entreprise doit :
- améliorer sa résilience vis-à-vis du changement climatique et des changements que cela va provoquer ;
- maximiser son impact positif et limiter son impact négatif.
Nous considérons alors qu’une entreprise doit contribuer au net zero planétaire en n'agissant pas seulement sur la réduction de ses émissions et donc de son empreinte carbone, mais aussi sur deux autres leviers :
- les émissions évitées qui sont la capacité d’une entreprise à décarboner la société ;
- le développement des puits de carbone, illustrés par le siphon de la baignoire.
Une entreprise sérieuse serait une entreprise qui traite ces trois sujets à la fois.
Quels sont vos prochains objectifs avec le cabinet Carbone 4 ?
En 2023, avec le cabinet Carbone 4 nous nous lançons dans cinq déclinaisons sectorielles de Net Zero Initiative :
- l’énergie ;
- le bâtiment ;
- les déchets ;
- la technologie de l’information (IT) ;
- le textile.
L’objectif est ainsi de donner concrètement aux entreprises du secteur des lignes directrices pour savoir comment s’approprier la neutralité carbone collective et comment calculer ses émissions évitées et puits de carbone.
Aucun commentaire
Ecrire un commentaire